Du haut de la colline, Wegree le Loup regardait la forêt qui était son monde. A sa droite, son territoire s'arrêtait à la rivière. Vers le soleil levant, au-delà des pierres levées, c'était le pays de Breogar, l'Ours. Un accord tacite entre sa meute et Breogar avait fixé leurs frontières.
Wegree était inquiet. La rosée matinale avait apporté une odeur inhabituelle. Il avait beau renifler, il n'arrivait pas à l'identifier. C'était quelque part, sur ses terres, et c'était peut-être dangereux. Wegree se leva et descendit la colline pour rejoindre sa meute. Il devait organiser les recherches.
- C'est un deux-pattes, affirma Groalnee, la doyenne de la meute. Et il est seul.
Les loups étaits réunis sur l'ordre de leur chef, pour décider des mesures à adopter. Les paroles de Groalnee déclenchèrent des exclamations de surprise. La plupart d'entre eux n'avaient pas vécu assez longtemps pour rencontrer ceux-qui-marchent-sur-deux pattes. Wegree grogna pour ramener le calme. Il n'aimait pas beaucoup l'ancienne, mais il savait que son expérience était nécessaire au groupe.
- Un deux-pattes? Alors, nous ne sommes plus les seuls prédateurs. Nous allons devoir défendre notre territoire. Ou le quitter.
- Les deux-pattes portent des fourrures qu'ils ont arrachées à d'autres, s'exclama un jeune chasseur. Et ils ont des griffes plus longues que deux queues !
Wegree le regarda un instant, et le jeune loup baissa la tête et la queue, en signe de soumission. Il n'aurait pas du intervenir.
- Sont-ce des légendes, des histoires pour louveteaux, ou y a-t-il une vérité ? Groalnee ?
- Eh bien, une partie au moins est vraie. Ils portent plusieurs peaux, et ils se servent de leurs pattes mieux que nous de nos dents. Mais ils semblent ignorer les lois de notre Mère la Terre. Ce sont des prédateurs, oui. Mais ils ne respectent pas les cycles. Et ils négligent l'Equilibre.
- Tu veux dire qu'ils n'ont pas de Lois?
- Je pense qu'ils en ont, si, puisqu'ils se déplacent en meute, comme nous. Mais ils sont imprévisibles. Un jour, ils passeront près de vous, et ne vous remarqueront même pas. Le lendemain, ils vous chasseront et extermineront, même si la forêt est emplie de bon gibier. Leurs yeux sont clairs, et quand ils vous regardent, c'est comme si la Mort elle-même vous touchait.
Wegree commençait à lire la peur dans les yeux des siens. Il était temps d'agir.
- Tu as dit qu'il était seul?
- C'est ce que je crois. Et... son odeur est bizarre. Comme s'il manquait quelque chose.
- Tu vas m'accompagner. Et deux chasseurs aussi. Nous allons l'observer. Les autres, ne changez rien à vos habitudes. Partons maintenant.
Le groupe s'enfonça dans la forêt, suivant une trace facile.
- Il ne fait rien pour se dissimuler, remarqua Wegree. Voyez les traces qu'il laisse.
- Il a couru, ici. Et, regardez, il s'est arrêté, près de ces buissons. Il a arraché quelques brindilles.
- Des fruits, c'est ce qu'il cherchait. Continuons.
L'odeur était plus nette, maintenant. La créature ne devait pas être loin. Mais les loups se déplaçaient lentement, ne souhaitant pas le rencontrer. Soudain, approchant d'une zone dégagée, ils le virent.
Il était accroupi, sous des fougères géantes. Il raclait la terre avec ses mains. Les loups s'arrêtèrent, évitant de faire le moindre bruit. Les oreilles dressées, ils observaient chacun de ses gestes.
- Celui ci ne porte que sa propre fourrure, murmura finalement l'un des chasseurs.
- Il n'a pas l'air si dangereux, êtes-vous sûr que c'est un deux-pattes, demanda l'autre.
- C'en est un, affirma Groalnee. Mais... il n'est pas comme ceux que j'ai rencontré. C'est vrai qu'il ne porte pas de seconde peau, et il utilise ses propres griffes pour gratter la terre. On dirait... qu'il cherche des racines.
Le deux-pattes s'était arrêté de creuser. Il leva la tête, visiblement inquiet, et renifla rapidement. Les loups n'osaient même pas bouger une oreille. Puis il se remit à creuser.
- Etrange, dit doucement Groalnee. Il ne se comporte pas du tout comme ceux que j'ai rencontrés. On dirait.. un de nos jeunes.
- Tuons le maintenant, reprit le premier chasseur. Et il ne sera plus un danger pour la meute.
- Non ! dit Wegree. Je veux en savoir plus sur lui. De toutes façons, sa viande n'apaiserait pas la faim d'un seul d'entre nous. Voyez comme il est maigre.
Le chef avait parlé. Il n'y avait rien à ajouter. L'étranger se leva soudain, et se remit à courir. Les loups le suivirent à distance raisonnable. Il entra dans une clairière. Au centre, d'énormes pierres avaient été dressées, et à-demi enterrées. Par qui? Pourquoi? Les loups s'en souciaient peu.
- Il a atteint les Pierres. Il quitte notre territoire, dit l'un d'eux. Il faut l'attraper maintenant.
Wegree hésita un instant. Les événements décidèrent pour lui. A ce moment, dans un grand fracas, surgit de l'autre côté de la clairière un ours immense. Les loups s'arrêtèrent immédiatement, ne prenant pas le risque de passer la frontière. Le deux-pattes s'était recroquevillé contre une Pierre, et se tenait la tête dans les mains en gémissant. Breogar l'ours s'approcha de lui, l'examina un instant, puis tourna son regard vers les loups.
- Qu'avez-vous fait, chasseurs ? L'ours abaissa son énorme tête. Il voulait parlementer. Wegree s'approcha seul, veillant à ne montrer aucun signe d'hostilité.
- C'est un Deux-pattes. Il vient de de traverser notre territoire. Nous l'avons surveillé pour être sûrs qu'il ne représentait pas de danger.
- Un danger ? Regardez-le ! Il arrive à peine à se nourrir, il tremble au moindre bruit. Sans aide, il ne survivra pas au prochain hiver.
Wegree hocha la tête.
- Il a quitté mes terres, maintenant. Il ne m'intéresse plus. Mais... Que comptes-tu faire de lui?
- Je vais vous le confier, dit Breogar. Vous allez le prendre avec vous, et veiller à ce qu'il survive.
Wegree était stupéfait. Où l'ours voulait-il en venir ?
- Regarde-le bien, reprit Breogar, et écoute la Nature. Ne vois-tu point que la main de notre Mère la Terre est sur lui ? Ne crois-tu point que tu aurais immédiatement tué toute créature représentant un danger pour les tiens, au lieu de simplement l'observer ? Ne comprends-tu point la mission qui t'a été confiée ?
Wegree regarda l'ours, puis le Tauren. Il renifla, hésita un instant. Puis sans un mot de plus, il s'approcha de l'être toujours recroquevillé contre la Pierre. il poussa doucement son bras du museau, lui donna un coup de langue timide. Puis il repartit vers son camp sans se retourner. Le Tauren se redressa, et suivi le loup, moitié marchant, moitié à quatre pattes. Le groupe disparu dans la forêt.