Le rouge et le noir, ou une charmante histoire de drows

Lancoeres triturait l'amulette de Vhaeraun, precieusement caché dans une poche de son long manteau de jais. Un parfum acre et metallique montait lui deranger les narines. Dans la rue etaient etalés des corps, pour la plupart lacérés ou amputés d'un membre. Ils resteraient là probablement jusqu'au jour suivant lorsque les esclaves viendraient nettoyer apres la fin de la fete des Masques-Ombres.
Il n'avait jamais énormement apprecié ce carnaval. Un massacre public et degéneré qui precedait la Periode de Trêve. Ce n'etait certe pas la debauche de violences et de libération des instincts qui le génait, cela au contraire avait meme tendance à le survolté. Mais c'etait plutot le manque... d'intimité. Les inferieurs et petites frappes ce laissaient aller sans retenue, devant tous et sans pudeur. Et trop souvent cela devenait pitoyable. Pitoyable de primitivité et d'inexperience.
Lancoeres cracha un molard mêlé de sang qui alla s'écraser sur la face blanche d'un humain. Il avait été tuer il y a quelques minutes par des fetards de l'académie de sorcellerie. Sans aucune raison bien sur, mais de maniere tres spectaculaire, Lancoeres du le reconnaitre. La magicienne, une splendide drow à la chevelure tombante jusqu'aux reins, avait su reperer le fuyard. La toile magique jaillisant des doigts de la mystique l'avait fait chuté bruyamment. L'humain avait imploré, regalant ainsi les oreilles de tous de ses peurs et de ses pleurs. Puis elle, elle avait eu la charmante idée de gratifier tout le monde des cris de douleurs de sa victime. Les Tentacules Noirs d'Evard est un sort si fascinant, bien qu'un peu sales peut-être. La scène avait echauffé le sang de Lancoeres, et il avait du faire bien des efforts pour se controler : Un regard mal placé aurait pu le transformer lui-même en miserable victime. Il avait la prétention de penser pouvoir emporter deux ou trois des drows de l'academie avec lui dans la mort. Mais tout cela aurait été tellement idiot, d'un gachis ! Alors il était là, sur le bas coté à reflechir au futur. Au jour ou lui aussi pourra pretendre integrer l'academie. Ou lui aussi saura faire jaillir la toile, et faire bouillir le sang de ses victimes. Il en avait la competence et la volonté. Pour preuve les remarques cinglantes que lui addressaient les matrones tout au long de son enfance. Pour preuve les regards effrayés ou haineux que lui lancaient ses petits camarades quand ils se rendaient compte que lui, Lancoeres, avait autre chose dans les veines que du sang d'elfe noir.
Des bruits de pas vinrent le tirer de ses pensés.

Une elfe noire apparut dans la rue. Sanglée dans une tenue de cuir noir, les cheveux courts, elle marchait d'un pas tranquille. Dans sa main droite pendait un poignard effilé qui dégouttait encore de sang frais, et sur son visage planait l'expression satisfaite due à une journée bien remplie.
La drow allait dépasser Lancoeres qui ne bougeait pas sur le bas coté, lorsqu'elle s'immobilisa. Elle fit deux pas en arrière et se tourna vers lui. Elle le dévisgea un instant puis énonça d'une voix amusée :
"La fête est sur le point de se terminer, Drow. Il faut profiter de ces derniers instants de plaisir."
La mine songeuse, elle leva sa dague jusqu'à ses yeux, comme pour jouer avec un reflet qui n'existait pas. Son bras retomba.
"Ou bien se rendre devant la huitième maison. Il paraît qu'on y donnera un joli spectacle là-bas."
Sans un mot de plus, elle se détourna et reprit son chemin du même pas confiant.

Lancoeres resta coi. Qu'un aboleth lui conte fleurette si CA ce n'est pas une invitation licencieuse ! Son regard soudain pétillant s'appesantit un instant sur la drow qui s'eloignait comme seules savent le faire les perles noires de tout l'outreterre : de manière hautaine, imperieuse et terriblement seduisante. Elle venait d'une famille regnante tres certainement, son regard l'avait plus qu'interpellé. Et pourtant l'accoutrement et l'absence d'escorte l'intriguèrent. Si Lancoeres n'avait pas le coup d'oeil il l'aurait certainement prise pour une guerriere des plus banale en train de se chercher un male à abuser. Et si justement ?
Il commenca à marcher lentement dans le sillage de la drow en se laissant envahir par l'une des ses plus grande qualité : la prudence.
Ne la connaissait-il pas ? Son visage lui rappellait quelque chose... avec les cheveux longs, le visage lisse et une robe de la noblesse peut-etre ? Impossible de dire. La politique de Menzoberranzan avait beau etre une de ces occupations favorite, il n'aurait pas parié sur qui elle était. La presence du poignard contre sa cuisse le rassura alors qu'il s'engagea vers la residence de la huitième maison.

Une lumière bleuté semblait pulsé du plafond couvert de Milleperantes. Silganen avait en effet toujours apprecié travaillé auprès de ses outils de travails : les champignons. Les reflets froids rendaient son visage effilé plus sournois encore que de coutume. Lancoeres toisa le rachitique svirfnebelin qui lui servait de cobaye pour ses potions et poisons.
-"Lanco ? Je ne pensais pas te voir ce soir." La voix de l'alchimiste était etonnament douce, contrastant avec sa physionomie de coupe-jarret. L'interpellé jeta un regard vers le bas de la rue.
-"On m'a dit qu'il y aurait de l'animation devant la porte de la huitieme maison. Tu en sais quelque chose ?"
-"Non. Des choses interessantes il s'en passe en continu aujourd'hui, alors tu penses bien qu'une de plus ..." Lancoeres leva un sourcil interrogateur.
Silganen repondit par un sourire. "Une novice de Lloth retrouvé morte dans un tripot. Les pretresses sur place ont accusés rapidement les gens de Sorcere... A tort bien sur." Lancoeres approuva de la tête.
-"J'entend bien." Il hesita un moment à rester parler avec son associé ou à continuer de suivre l'intriguante - et excitante - roublarde.
On entendait des cris et des ovations monter depuis Soluth Queldare, la place des froides asperités.

Les mains sur les hanches, Amenia toisait du regard la foule qui s’était déjà rassemblée devant les pesantes arabesques de pierre formant l’entrée de la huitième maison. On entendait déjà des cris et des détonations venant de l’intérieur, à peine recouvertes par la puissante clameur de la foule. Quoi de plus réjouissant comme spectacle de clôture de la fête des Masques-Ombres que le massacre d’une puissante maison ?
Amenia commença à progresser à travers l’attroupement. Un cri plus strident que les autres lui fit lever la tête, juste à temps pour voir la chute vertigineuse du haut d’une tour. La drow soupira en levant les yeux au ciel. La « justice » de Lloth. Mais une justice méritée, dut-elle reconnaitre. Au fil des années, la huitième maison avait méthodiquement progressé dans la hiérarchie, maison après maison, et aucune n’avait su résister à sa puissance. Jusqu’à ce jour. Maintenant, elle payait le prix de son succès.
Amenia reprit sa lente errance au milieu du rassemblement qui grossissait à vue d’oeil, observant les expressions de chacun : surexcités pour la plupart, ravis, soulagés même, tandis que d’autres affichaient une moue quelque peu mécontente. Rien qui ne sorte de l’ordinaire. Avec un petit haussement d’épaules, déçue, elle finit par faire demi-tour pour sortir de la foule.

Le regard d'Amenia croisa celui du drow qu'elle avait interpellé quelques rues avant. Il semblait accorder plus d'importance à elle qu'à la foule, mais ne put s'empecher de baisser les yeux quand Amenia le fixa. Elle sourit de satisfaction et commenca à s'approcher de lui. Lancoeres releva la tête presque timidement, mais son attention fut capter par quelque chose, quelque chose d'autre que la roublarde ou l'agitation en contre-bas. L'etonnement et l'incomprehension traverserent les visages de ceux qui se rendirent compte de ce qui ce etait entrain de ce passer.

Toute la place devant la Maison Illinpayn fut soudain cerné par un cordon de petits démons blanchatres, noires et parfois verts : des abishais. Derriere eux se tenaient des drows en robes chatoyantes en train d'invoquer une deferlante de feu et de glace. En quelques seconde la foules de curieux et les participants au sac du palais connurent une veritable hecatombe : la plupart mourru calciné ou gelé sur place. Les survivants commencaient seulement à reprendre leur esprits que les abishais amorcerent leur moisson d'âmes.
Lancoeres fila en trombe en direction de l'entrée principale de la huitieme maison : le seul endroit ou les nouveaux assaillants n'étaient pas encore. Amenia le suivit en essayant de comprendre ce qui se passait. Lorsqu'ils entrerent dans la salle de reception - deja detruite et parsemé de cadavres de la premiere attaque "punitive et spontanée" - une explication commenca à émerger : La Maison Illinpayn avait anticipé son aggression et profiter de l'occasion pour affirmer sa position ! Les creatures des abysses devaient avoir été invoquer par les mages de la maison. Et l'essentiel de ses troupes devait surement etre en train de sortir de leur cachette pour s'abattre sur les intrus. Intrus dont ils faisaient maintenant et involontairement partis...
Lancoeres et Amenia s'entre-regardèrent, chacun comprenant au meme moment le dramatique de la situation. Ressortir etait hors de questions, les abishais n'allaient pas se poser de questions et les massacrer. Il fallait s'enfoncer à l'interieur. Les deux drows se remirent à courrir tandis que les Illinpayn reprenaient pied dans leur palais. Apres une serie d'escaliers, de couloirs et de salles pillés un endroit calme et facilement defendable se presenta : une sorte de petit entrepot avec une porte solide.

Les quelques autres personnes qui etaient parvenu à échapper au premier assaut des démons s'etaient éparpillés dans les couloirs et personne n'etait visible. Lancoeres et Amenia etaient seuls, pour le moment. Il fallait trouver une solution et vite.

Amenia s’engouffra dans l’entrepôt, Lancoeres à sa suite. Après un coup d’œil désapprobateur dans sa direction, elle lança dans un murmure rauque :
- Ferme la porte et surveille-la. Tiens toi tranquille et ne fais pas de bruit et surt…
Mais déjà le drow avait fermé la porte, puis clos ses yeux et il marmonnait quelque chose. Il incantait ! Amenia siffla entre ses dents. Un magicien … sale engeance ! Mais cela pouvait s’avérer utile pour le moment. Avec un grognement, la drow s'enfonça dans l’obscurité de l’entrepôt. Elle en fit le tour, ses mains palpant les murs. Puis elle se mit à genoux et commença à glisser ses mains sur le sol. Intrigué, Lancoeres la regarda faire du coin de l’œil, mais se reprit rapidement et continua son incantation. Soudain, un bruit dans le couloir les immobilisa. Des pas précipités venaient dans leur direction. Ils cessèrent de respirer. Amenia, recroquevillée en retrait près de la porte, avait la main sur la garde de sa dague. La porte s’ouvrit à la volée. La drow bondit en dégainant sa lame, mais Lancoeres fut plus rapide. Son sort réduisit au silence l’intrus – un fuyard, probablement – qui ne fit aucun bruit lorsque l’acier lui trancha la gorge. Amenia retint le corps sans vie pour étouffer le bruit de la chute, tandis que le drow refermait la porte après s’être assuré d’un coup d’œil que le couloir était désert. Cette fois-ci, il coinça la porte avec une jarre en terre. Puis il rejoignit Amenia qui était déjà repartie fureter dans l’entrepôt. Elle s’activait maintenant à déplacer les caisses et les malles entreposées dans la pièce.
- Que cherches-tu ? souffla-t-il.
- Une trappe. Il y a toujours au moins deux issues dans les pièces d’une maison. Celle-ci ne doit pas faire exception.
Et effectivement, ils découvrirent la sortie sous un tonneau vide. Une échelle les mena dans une autre pièce, et une seconde trappe dissimulée révéla une autre échelle qui descendait deux étages plus bas, probablement dans les sous-sols. Ils continuèrent leur progression, de trappe en étroit couloir. Amenia insista pour que Lancoeres reste devant elle. Ils ne croisèrent personne, hormis quelques rats, et n’échangèrent pas un mot. Lorsqu’ils refirent surface, dans une ruelle étroite et sombre, ils se trouvaient loin de la huitième Maison. Ils avaient presque atteint la limite ouest de la cité.
A peine sortie du boyau qui les avait menés là, Amenia bondit sur le drow, arme au point. Lancoeres eut tout juste le temps de s’écarter et la lame ne fit que déchirer son manteau. Sans lui laisser de répit, Amenia repartit à la charge, mais cette fois, il était préparé. Il la repoussa d’un mot et elle alla rouler au fond de la ruelle, laissant ainsi le temps au drow de dégainer sa dague. Cette fois ci, Amenia se fit plus prudente et n’attaqua pas son adversaire aveuglément. Ce n’était finalement pas un magicien de pacotille qu’elle avait en face d’elle, et il avait de bons réflexes. Elle grogna intérieurement : elle n’aimait pas les longs combats, et préférait tuer du premier coup. Et maintenant que l’effet de surprise était passé, elle se trouvait en mauvaise posture face à son adversaire. Mais elle ne pouvait pas le laisser partir : il savait qu’elle connaissait bien les Maisons, il devait se douter qu’elle n’était pas une simple mercenaire et cela, elle ne pouvait le permettre. Lui, en face, ne bougeait pas, attendant patiemment et calmement. Comme elle pouvait détester les magiciens ! Ils étaient fourbes, et on ne savait jamais quel sort mortel ils étaient sur le point de lancer.
Prête à esquiver la moindre attaque, elle se rapprocha de lui pas à pas. N’était-ce pas un sourire insolent qu’il avait sur les lèvres ? Elle allait le faire disparaître à jamais ! Lorsqu’elle fut suffisamment près, elle amorça un mouvement vers la droite. Un trait de feu la frôla lorsqu’elle dévia brusquement pour attaquer par la gauche, mais déjà la dague du drow était prête à parer sa lame. Profitant de son élan, Amenia sauta par-dessus son adversaire et se retrouva derrière son dos. Mais il eut le temps de s’éloigner avant qu’elle ne frappe et elle ne fit que lacérer son manteau. Poussant un cri de rage, elle sauta sur Lancoeres pour le faire tomber, esquivant de justesse l’attaque qu’il avait amorcée. Ils roulèrent ensemble au sol, Amenia agrippant son adversaire fermement. Le drow avait perdu sa dague et ils étaient trop près l’un de l’autre pour qu’il ose lancer un sort. Sûre de sa victoire, Amenia s’apprêtait à le frapper à l’abdomen lorsqu’un scintillement attira son regard et la fit suspendre son geste. A quelques mètres d’eux brillait un petit objet. Une amulette.
- Vhaeraun ! s’exclama-t-elle.